• Faut-il élever des animaux ?

     

    Ce billet s'inscrit à la suite de celui du 1er juin, « Faut-il manger des animaux ? ».

     

     

    En agriculture, les animaux sont élevés pour bien d'autres raisons que la production de viande. L'élevage existe même dans des sociétés végétariennes (cf. l'Inde) et pose des questions agronomiques, écologiques et éthologiques. Les modes d'élevage et le bien-être animal méritent une attention particulière et feront l'objet de mon prochain billet. Je vais essayer de balayer ici les différents usages des animaux sur une ferme, et les justifications de leur présence.

     

    Le simple fait d'élever des animaux est en effet parfois remis en cause, notamment en raison des surfaces agricoles considérables qui sont consacrées à la production de leur nourriture, et donc détournées de la consommation humaine. Certaines sources affirment même que plus de la moitié des surfaces agricoles sont utilisées à produire la nourriture du bétail, mais ces chiffres doivent être nuancés.

     

    Bovins en culture attelée au Nord-Bénin - Photo J. Caplat

     

    Porter et tracter

     

    À l'échelle planétaire, l'un des rôles essentiels des animaux de ferme est de porter des charges et de de tirer du matériel. C'est le cas des ânes, lamas, chameaux ou chevaux de bâts, incontournables dans les sociétés installées dans des régions montagneuses ou désertiques. C'est le cas également des bœufs et chevaux de trait, qui permettent aussi bien de transporter des marchandises ou des humains dans des carrioles que de tirer des charrues et autres matériels de culture.

     

    Ce rôle est devenu marginal en Europe, même si les chevaux de trait connaissent un regain d'intérêt chez les agriculteurs biologiques, les viticulteurs ou les forestiers (débardage du bois). Il permettent en effet un travail bien plus fin que les tracteurs, sans dégrader les sols fragiles. En forêt, ils permettent d'exploiter des taillis sous futaie et d'éviter des coupes à blanc.

     

    Ces animaux travaillent au quotidien avec des humains, qui nouent avec eux de véritables relations dans la durée, car chaque humain n'en gère qu'un ou deux. Leurs propriétaires leur sont souvent très attachés, et en prennent généralement soin.

     

    Valoriser les surfaces en herbe

     

    Je lis souvent qu'il faut 10 kg de céréales pour produire 1 kg de viande bovine. Ce calcul est hélas pertinent lorsqu'il concerne les bovins confinés dans des fermes d'engraissement aux États-Unis ou dans le sud de l'Europe (Italie et Espagne), et même une partie des vaches laitières françaises dont la viande est ensuite commercialisée. Mais il oublie que les bovins, tout comme les ovins (brebis) et caprins (chèvres), consomment normalement essentiellement de l'herbe ! Le système digestif des ruminants est adapté à la consommation d'aliments à base de cellulose (herbe, foin, paille), et non pas à base d'amidon (céréales, protéagineux). Un élevage cohérent de vaches, de brebis ou de chèvres utilise ces animaux pour pâturer des surfaces en herbe.

     

    Il n'y a dès lors plus aucun sens à calculer des « surfaces théoriques de céréales » si les animaux concernés ne consomment pas de céréales, mais de l'herbe. Car les prairies sont souvent nécessaires pour l'équilibre des écosystèmes et elles sont des puits de carbone stockant du CO2, or elles ne sont pas valorisables pour l'alimentation humaine directe : nous ne sommes pas des ruminants et ne pouvons pas digérer l'herbe (sauf bien sûr à des doses infimes, comme les aromates).

     

    Qui voudrait décemment transformer les steppes kazakhes ou mongoles en champs de céréales ? Qui saurait cultiver massivement la toundra arctique ? Qui envisagerait la disparition des prairies de montagne et de leurs écosystèmes spécifiques et précieux ? Qui serait favorable au drainage des dernières prairies humides des régions bocagères et à leur remplacement par l'agriculture industrielle au détriment de la faune et de la flore qu'elles abritent ? Tous ces espaces en herbe sont entretenus par des troupeaux, mi-sauvages mi-domestiqués dans certaines régions du monde, forcément agricoles en Europe (où l'évolution climatique et historique a éliminé l'ancienne mégafaune inter-glaciaire). Non seulement l'élevage de ruminants est normal sur ces écosystèmes à préserver, mais il est même nécessaire. Il est ensuite logique d'en valoriser le lait, et éventuellement la viande pour ceux, majoritaires en Europe, qui en consomment.

     

    Des petits troupeaux sont utiles voire indispensables même dans des régions de cultures de céréales et d'oléoprotéagineux. En effet, le maintien de la structure physique du sol et de sa fertilité à moyen et long terme impose de diversifier le cycle des végétaux et d'implanter régulièrement des prairies (en général une séquence de deux ou trois ans tous les cinq à dix ans), et bénéficie fortement de l'apport régulier de compost. Or, les prairies doivent bien être valorisées par des ruminants, et la production de compost suppose justement de disposer d'animaux. Ici encore, il est erroné de raisonner en « concurrence nutritionnelle avec les humains », puisqu'il s'agit d'une complémentarité dans un cycle complexe.

     

    Porcs et volailles : une situation plus délicate

     

    Ce qui vaut pour les ruminants ne vaut pas pour les monogastriques (porcs et volailles). Ces derniers valorisent les mêmes types d'aliments que les humains, et entrent donc bel et bien en concurrence avec l'alimentation de l'humanité. Pour autant, ils peuvent trouver leur place dans un système cohérent... mais elle reste forcément modeste.

     

    Les porcs peuvent valoriser des sous-produits alimentaires rejetés par l'Homme, tels les déchets de légumes, les « issues de triage » des céréales, le petit-lait des élevages laitiers, etc. C'est la raison pour laquelle leur place historique est celle de tout petits élevages complémentaires, que ce soit en Asie ou en Europe (quelques porcs par ferme). Les unités spécialisées en production porcine sont rapidement incohérentes sur le plan agronomique, et doivent importer leurs aliments (et exporter leurs déjections... ou polluer le voisinage).

     

    Il en est de même pour les volailles, qui valorisent à peu près les mêmes sous-produits que les porcs (sauf le petit-lait), et qui devraient constituer des ateliers complémentaires sur des fermes polyvalentes, et non pas des élevages hors-sol déséquilibrés et sans lien au territoire.

     

    Méfions-nous des fausses comparaisons

     

    Les calculs sur le détournement de céréales pour la production animale semblent plus favorables aux porcs et volailles (viande blanche) qu'aux ruminants (viande rouge), car il ne faut que 3 à 4 kg de céréales pour produire 1 kg de viande blanche. Vous comprenez que je conteste formellement ce raisonnement. En effet, le calcul correspond à un détournement effectif pour la viande blanche : son alimentation est soustraite aux humains, et d'autant plus que les élevages de porcs et de volailles sont de plus en plus industriels. Pire encore, ces élevages concentrationnaires sont des bouillons de culture bactérienne et virale, et sont une aberration et un scandale en terme de condition animale. À l'inverse, il est possible d'élever des ruminants sans leur apporter de céréales (ou très peu en complément marginal), et donc sans entrer aucunement en concurrence avec l'alimentation humaine.

     

    Un régime carné durable s'appuiera donc surtout (mais avec modération) sur la viande de moutons et de bovins élevés à l'herbe – sans s'interdire les œufs et la viande de porcs et de volailles, mais plus parcimonieusement.

     

     

    Si l'on accepte d'élever des animaux, la question qui se pose alors est celle du volet suivant : comment les élever en respectant leur éthologie et leur biologie ?

     

     

    « Faut-il manger des animaux ?Élever les animaux en les respectant »

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