• Changer d'élevage

     

    Ce billet conclut la série engagée le 1er juin (Faut-il manger des animaux ?) puis poursuivie le 2 juin (Faut-il élever des animaux ?) et le 5 juin (Élever les animaux en les respectant).

     

     

    Comme je le rappelais dans mon précédent billet, les ruminants (vaches, moutons, chèvres) sont adaptés à une alimentation à base d'herbe et de foin, et les monogastriques (porcs, volailles) doivent être élevés dans de petits ateliers secondaires qui valorisent des déchets de céréales et de légumes, et non pas dans des unités industrielles concentrationnaires qui les mettent en outre en concurrence avec l'alimentation humaine.

     

    Une fois rappelées ces bases de la physiologie animale, de la gestion des ressources et du respect des animaux, comment engager une transition des fermes concernées ? Comment conduire progressivement les élevages industriels actuels vers des systèmes plus cohérents, éthiques et pérennes ? Je vais décliner ici rapidement les principaux types d'élevage et leurs évolutions possibles.

     

    Vaches laitières : retourner à l'herbe

     

    Le point de départ de l'agriculture est la surface disponible. Il n'y pas d'agriculture ni d'élevage sans territoire. Il est absurde et dangereux de baser la rentabilité économique sur des performances théoriques puis de « tordre » l'agronomie pour obtenir ces performances. Les élevages laitiers doivent cesser de se focaliser sur un nombre symbolique de vaches ou de litres de lait, mais reconstruire leur cohérence autour de leurs surfaces disponibles sur place (sans s'appuyer sur l'accaparement indirect des cultures de soja au Brésil). Remettre les vaches à l'herbe est une évolution aisée, c'est l'une des transitions les plus évidentes et rapides sur le plan technique. À condition d'accepter de ne prévoir que 1,2 à 1,4 vache par hectare, de nombreux éleveurs peuvent s'engager dès demain dans cette évolution. C'est ce à quoi s'attachent plusieurs réseaux d'éleveurs dans l'Ouest de la France (réseau agriculture durable, CEDAPA...), ainsi bien sûr que les éleveurs biologiques.

     

    Élevage laitier industriel (Photo CIWF)              Élevage laitier biologique (Photo PhL)

     

    Un problème subsiste parfois, celui de l'éparpillement des champs. Un éleveur dont les parcelles sont situées loin de ses bâtiments (avec la salle de traite) aura du mal à y mener paître ses vaches. Il est toutefois possible de s'équiper d'un parc de traite mobile, bien que cela demande un travail supplémentaire. Une autre solution est de regrouper les parcelles, en engageant un nouveau « remembrement » (échange de terres entre paysans). Il va de soi qu'un tel remodelage des fermes devra être supervisé par des écologues et reconstituer des haies et des éléments naturels – et non pas en supprimer comme l'a fait le remembrement catastrophique des années 1960-1980. En permettant non seulement ce type d'échanges de terres mais également l'évolution des filières commerciales, les dynamiques collectives sont souvent bien plus efficaces, simples et rapides que les évolutions individuelles. La transition est plus facile lorsqu'elle est ambitieuse que lorsqu'elle est complexée !

     

    Production de viande bovine : engraisser sur place

     

    L'élevage ovin est généralement respectueux de la physiologie animale et de l'éthologie, même si la production de contre-saison (agneaux de bergerie) peut poser parfois quelques questions. C'est là un sujet complexe qui nécessiterait un billet spécifique et nuancé. Je ne le développerai pas pour l'instant.

     

    L'élevage de bovins viande ne peut plus cacher la poussière sous le tapis (cf. billet précédent) en négligeant les conditions inadmissibles de l'engraissement des jeunes bovins dans les unités industrielles italiennes ou espagnoles. Les éleveurs doivent ici encore cesser de survaloriser le nombre brut de vaches-mères, et envisager une relocalisation de l'engraissement. En réduisant leur nombre de vaches, en aménageant des bâtiments pour accueillir des jeunes bovins en hiver (ce qui peut, depuis longtemps, faire l'objet d'aides économiques) ou en évoluant vers des races plus rustiques, ils pourront engraisser eux-mêmes leurs animaux – en les nourrissant essentiellement à l'herbe. Cette évolution demande quelques changements techniques et d'équipements, mais elle reste assez aisée et rapide. Ici encore, des démarches commerciales collectives devront accompagner le changement.

     

    Porcs et volailles : mettre fin à l'élevage hors-sol

     

    Les unités industrielles de porcs et de volailles sont insoutenables en matière de respect animal, de conditions de vie des éleveurs (qui sont broyés eux aussi par la machine industrielle dont ils deviennent des sous-traitants), d'agronomie, de prise en compte de l'environnement et de précaution sanitaire.

     

    Dans une logique de transition (et non pas d'élimination brutale), ces unités doivent réduire drastiquement leur nombre d'animaux, leur permettre un accès à l'extérieur, les loger dans des conditions correctes (sur paille), les nourrir avec des sous-produits de cultures, et valoriser leurs déjections en quantité raisonnable sur des terres capables de les absorber. Comme la plupart de ces unités ne disposent actuellement pas de terres pour assurer elles-mêmes l'alimentation de leurs animaux et le recyclage écologique de leurs déjections, la seule voie d'évolution envisageable est l'établissement de contrats (puis une fusion à terme) avec des fermes céréalières ou légumières.

     

    Les unités actuelles de porcs et de volailles se mettront en relation avec des céréaliers ou des producteurs de légumes, de façon à assurer des échanges de matière et la construction d'une autonomie conjointe. En parallèle, le nombre d'animaux et les conditions d'élevage seront radicalement modifiés. Dans un deuxième temps, il sera possible d'envisager une fusion juridique et technique des fermes ainsi reliées, et un transfert des animaux à proximité des surfaces de production de céréales ou de légumes. C'est toute l'organisation du territoire qui devra forcément en être transformée, mais c'est la seule solution pour conserver des élevages porcins et volaillers qui ne nient plus l'éthologie, l'environnement, les humains et la santé.

     

    En parallèle, il est temps de mettre fin aux distorsions de concurrence archaïques qui avantagent actuellement scandaleusement les unités industrielles hors-sol au détriment des élevages paysans et biologiques. Ces distorsions de concurrence permettent d'importer à bas coût des aliments produits en Amérique du Sud et favorisent la délocalisation de l'abattage des animaux en Europe centrale ; elles auraient pu être partiellement corrigées par l'écotaxe dont la première vertu était de rééquilibrer la donne vers une économie de proximité... mais celle-ci a été rejetée par démagogie et incompréhension.

     

    Bien entendu, la transition sera plus facile pour les élevages de porcs et de volailles qui disposent déjà de surfaces agricoles significatives. Ils peuvent directement s'engager en agriculture biologique et paysanne, sans avoir à rechercher un partenariat à moyenne ou longue distance. Mais cela implique à la fois de pouvoir valoriser leur nouvelle production (qui sera en quantité bien plus faible mais d'une qualité incomparable) et de modifier drastiquement leurs pratiques d'élevage.

     

    Une transition à engager au plus vite

     

    Ces évolutions sont nécessaires. Elles seules pourront sauvegarder ou restaurer la légitimité technique, sociale, environnementale et éthique des types d'élevages actuellement entraînés dans une inquiétante dérive industrielle et hors-sol. Elles impliquent des étapes progressives et un accompagnement, aussi bien technique qu'économique. Elles ressortissent aussi bien de la responsabilité des éleveurs eux-mêmes que des pouvoirs publics.

     

     

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